Libération et rêve brisé…

Le 3 septembre 1944, un an après les dernières grandes rafles, et deux ans après les premières rafles qui mènent les Juifs vers la déportation et la mort, Bruxelles est libérée.

Jours de liesse et de bonheur pour la population belge.  Tristesse profonde pour les survivants Juifs, qui sortent de l’ombre.

Pendant des mois, près d’un an, jusqu’à l’été 1945, joie et tristesse vont simultanément ou tour à tour envahir la population juive, qui dès la Libération évaluera l’ampleur du drame.

Peu de familles intactes, beaucoup de victimes. En tout 30.000 Juifs déportés de Belgique, 25.257 depuis la Belgique, dont 5.093 enfants: 2.458 filles et 2.635 garçons et 5000 depuis la France.

Pour ceux et celles qui ont survécu, cachés, après le rêve permanent et la quasi-certitude d’un après-guerre réconfortant, heureux et serein, vient le constat d’une réalité toute autre.

Des prisonniers commencent à rentrer, au compte-goutte. Animés de l’espoir de voir revenir leurs parents, les enfants en âge de comprendre ont gardé cette conviction au fond leur coeur bien après la Libération.

Certains enfants retrouvent l’un ou l’autre parent, parfois les deux. Souvent c’est le choc : des cadavres sans cheveux aux yeux immenses les regardent.

Dans toute la Belgique, des enfants juifs sortis de l’ombre attendent maintenant leurs parents. Au fur et à mesure que le temps passe, certains se rendent compte qu’ils sont orphelins. Les tout-petits, ne reconnaissent pas leurs parents, qui ont pourtant survécu uniquement dans l’attente de ce moment.

Paradoxalement, la Libération tant attendue et tellement espérée, représente pour tous les mômes la fin du rêve. Le silence et la culpabilité  émergent. Brutalement, la mort et la solitude font irruption dans leur quotidien.

Après le songe et le mensonge vient l’attente, après la confiance survient le désespoir.  Pendant des années, ils vont taire leur souffrance, enfouir cette douleur, mettre derrière eux ces années de tourment et de peine. Ils abritent une blessure béante, qu’ils croient encore pouvoir ignorer.

Pendant et après-guerre, les enfants se sont souvent, et à différentes étapes, retrouvés avec d’autres gosses dans la même situation.  Ils ont vécu leur propre peine et partagé celle de leurs semblables. Tout ce vécu d’enfants abandonnés, en péril, angoissés, leur était perceptible par les mesures qu’ils devaient prendre, ne fût- ce qu’au moment de se prémunir contre des indiscrétions.  En plus de la désolation de la séparation, de l’angoisse de l’abandon et de l’espoir des retrouvailles, toutes les histoires que les enfants se racontaient et tout ce qu’on leur annonçait était traumatisme. Qu’ils retrouvent leurs parents ou non, ils en restent profondément marqués. Et pendant des décennies, ils continueront à endurer des cauchemars angoissants dont le cadre est la guerre, la peur.

Le lendemain de la Libération, le Comité de Défense des Juifs ( résistance) cesse ses activités en tant qu’organisation et devient l’Aide Israélite aux Victimes de la Guerre – l’A.I.V.G. – constituée officiellement le 11 octobre 1944. L’activité de ses premières années est dominée par l’urgence et la nécessité d’une efficacité immédiate. L’A.I.V.G. aborde le problème des plus âgés.e. en ouvrant un home, celui des adultes par l’assistance et la rééducation professionnelle. Toutefois c’est au problème de l’enfance, aux orphelin.e.s de guerre, que l’organisation va se consacrer prioritairement. Arrachés à leur milieu naturel, privés de l’affection et de la protection familiale, ces enfants vont bénéficier de l’attention et du dévouement des institutions juives. A partir d’avril 45, les homes qui existaient pendant la guerre sont repris par l’A.I.V.G. et de nouveaux sont créés[1].

Là, entouré d’adultes compréhensifs, ils et elles ont l’impression que, si les éducateurs les aident à nager, ils dépensent l’essentiel de leur énergie à nager eux-mêmes. En tout cas, personne n’y parle de la guerre, ne discute de ces choses -là.

Dans les homes, leur vie n’est pas malheureuse. Le plus dur, c’est d’assimiler le fait  qu’ ils n’y sont pas le temps de vacances, mais en permanence. Que la famille n’existe plus.

Siegi Hirsch[2],un jeune éducateur, lui-même rescapé des camps, insufflera courage et enthousiasme aux enfants. Pour lui le travail est concret : il s’agit avant tout de rendre à ces jeunes le goût de la vie. A ces orphelins, qui vivent le présent sans référence au passé et dont les tout-petits ne connaissent même pas leur identité complète, il faut donner une chaleur qui permette d’envisager l’avenir. Leur apprendre à vivre après une période d’angoisse, aller dans le sens des perspectives, alors que leur passé les attire vers la mort. D’ailleurs, les jeunes veulent oublier ce passé insupportable et Siegi l’a compris[3].

[1]Il y en aura en tout 14.

[2]En 45, Siegi Hirsch revient des camps de Auschwitz et Buchenwald. Il se présente comme éducateur à Lasnes. A 24 ans, il devient directeur du home. Il prendra également la direction du home de Boistfort et de Rhodes, dont  il assurera la fermeture en 58. S . Hirsch est thérapeute familial à Bruxelles.

[3]L’histoire des enfants juifs cachés en Belgique, dans « Enfants Cachés, les Larmes sous le masque », réédition 2008, Ed. Luc Pire

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