Eastman: le patrimoine bruxellois à nouveau menacé….
Voici ma demande d’interpellation à Charles Picqué, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des pouvoirs locaux, de l’Aménagement du Territoire, des Monuments et Sites, de la Propreté publique, de la Coopération au Développement et de la Promotion de l’image nationale et internationale de Bruxelles concernant la transformation de l’ancien Institut Dentaire George Eastman en Maison de l’histoire européenne en commission aménagement du territoire du 18 juillet 2012
Monsieur le Ministre-Président,
L’Institut Dentaire George Eastman implanté dans le parc Léopold est un bâtiment remarquable conçu dans les années 1930 par l’architecte Michel Polak, largement reconnu pour son oeuvre architecturale exceptionnelle. Auteur de réalisations telles que la Villa Empain, le Résidence Palace ou l’hôtel Plaza, il a marqué de son empreinte plusieurs immeubles aux programmes architecturaux uniques.
Dans un style moderniste teinté d’esprit classique, l’institut présente, avec une sobriété dans l’usage des matériaux, une composition symétrique d’aspect monumental jouant essentiellement sur le traitement des volumes du bâtiment. On notera le soin apporté aux détails des décorations et aménagements intérieurs : porte d’entrée en fer forgé, grand hall principal, salle d’attente, salle de conférence…
Un projet de transformation de ce bâtiment en Maison de l’histoire européenne a été déposé. L’enquête publique y relative a été clôturée le 25 mai et la commission de concertation s’est réunie en juin 2012.
De nombreuses associations de protection du patrimoine comme l’ARAU ou Pétitions-Patrimoine ont déjà réagi. Selon eux, « le projet de Maison de l’histoire européenne tel que proposé est complètement inadapté au patrimoine censé l’accueillir, car le programme prévu est démesuré par rapport à la capacité de l’institut Eastman à le recevoir, obligeant à une surélévation destructrice du bâtiment. Le programme d’affectation n’a manifestement pas été étudié et adapté aux possibilités et qualités du bâtiment. Dans le cadre de la réaffectation d’un patrimoine aussi remarquable, une telle démarche est à proscrire, étant l’inverse de la bonne pratique en la matière qui voudrait que l’on définisse le programme en fonction du patrimoine et non l’inverse ».
Ainsi, la surélévation de l’Institut en détruirait irrémédiablement la perception et la volumétrie, en alourdissant considérablement ses proportions et en noyant sa composition d’origine. Des espaces intérieurs seraient également sacrifiés et la conservation de l’ensemble des éléments décoratifs d’origine ne serait pas non plus assurée. La surélévation du bâtiment sur l’ensemble du parc
Léopold classé risquerait également de casser l’homogénéité de gabarits des bâtiments qui y sont actuellement implantés.
Enfin, la surélévation de l’Institut aurait un impact négatif sur l’harmonie d’ensemble qu’il forme avec son voisin direct le Lycée Jacquemain ainsi qu’un effet d’écrasement sur ce dernier. Pourriez- vous nous indiquer quelle est la position de la Région dans ce dossier, tant en termes urbanistiques que patrimoniaux ? Quel est, en outre, l’avis de la Commission royale des monuments et des sites (CRMS) concernant ce projet ?
La Région soutient-elle le projet architectural de Maison de l’histoire européenne ? Dans l’affirmative, comment et à quelle hauteur ? Le cas échéant, pourriez-vous obtenir des auteurs du projet de revoir la forme actuelle en vue de tenir compte des réserves évoquées ?
Cette situation est pour le moins consternante. D’un côté, le discours prône la protection du patrimoine bruxellois et le classement des bâtiments remarquables, de l’autre, il est question de développer un projet dans un parc classé qui risquerait d’en détériorer l’harmonie. Il arrive que pour des projets de lotissements, on vante des qualités historiques et patrimoniales qui m’échappent même si sans doute dans la vision de certains, des éléments puissent être défendus de la sorte. Dans cette logique, il n’est toutefois pas acceptable qu’on laisse détruire ce bâtiment. Cette attitude me déconcerte.
M. Picqué.
M. Charles Picqué, ministre-président.- m’a répondu que l’Institut Eastman est certes un bâtiment remarquable, mais il n’en demeure pas moins non classé. (…)
En revanche, il est situé dans le site classé du parc Léopold. Le bâtiment est toutefois érigé sur une parcelle exclue du classement. La Direction des monuments et sites confirme à ce sujet qu’il résulte de ce non-classement explicite, que le principe de classement de l’enveloppe extérieure des bâtiments inclus dans un site classé, n’est pas d’application ici. Il me semble bien légitime de s’arrêter sur le périmètre de protection ! Les travaux sur le bâtiment ne sont dès lors pas concernés par les prescriptions de l’arrêté de classement du site. Cela étant, je vous rejoins à ce sujet, la Région doit se montrer vigilante pour que le projet s’intègre le plus harmonieusement possible dans le site classé.
(…)La Région soutient ce projet que je trouve très important. En effet, il fera le lien avec le Visitor’s center appelé dorénavant le Parlementarium. Il constituera un jalon touristique important. Pour s’en convaincre, il suffit de voir aujourd’hui combien de personnes se pressent au Parlement européen pour visiter ses installations. Je suis donc content que ce projet se concrétise. Ce bâtiment sera une interface des institutions européennes et de la vie bruxelloise vu qu’il se trouve à proximité de la gare du Luxembourg. Il n’est donc pas localisé dans un ghetto, mais pourra jouer le rôle de transition entre les deux quartiers.
La Commission royale des monuments et sites a décidé de ne pas rendre d’avis, mais a formulé des remarques à l’attention du fonctionnaire délégué. J’en ai pris connaissance et il faut relever que le projet a déjà considérablement évolué en matière de protection du patrimoine. D’après ce que nous avons déjà entendu, les nouveaux accès du bâtiment sont prévus dans le soubassement, les châssis d’origine en bronze seront intégralement conservés, de même que certains espaces du rez-de- chaussée : il y a les garanties de préservation et de restauration des éléments de décor dans ces pièces conservées.
Le dossier a donc évolué dans le bon sens tout en rendant possible la concrétisation du projet. En effet, j’ai été jadis assez inquiet de la surélévation du gabarit. Nous avons eu des contacts à cet égard avec l’ancien président du Parlement européen qui est devenu le président du comité de suivi du projet.
(…)
Nous devons soutenir ce projet et trouver un compromis avec les impératifs patrimoniaux. Voici typiquement un dossier où ce compromis doit être recherché. C’est ce que nous avons essayé de faire le mieux possible. Je tiens à signaler qu’il y a des exemples de surélévation de bâtiments assez bien réussis. Même si la surélévation du parlement bruxellois peut faire débat, on ne peut pas dire qu’elle soit une catastrophe urbanistique. Le bâtiment ne sera pas détruit, mais augmenté par un projet contemporain qui devrait lui donner une qualité supplémentaire.
Je suis bien conscient qu’il s’agit du patrimoine, mais j’assume pleinement mon point de vue dans ce dossier. Vu les efforts d’intégration que nous avons réalisés, nous aurons tout avantage à ce que le projet se réalise, et ce dernier est en bonne voie. On pourra le citer comme exemple de bâtiment qui a évolué, mais dans un souci patrimonial.
Mme la présidente.- La parole est à Mme Teitelbaum.
J’ai répliqué que je suis d’accord quant au concept d’une maison de l’histoire européenne. Je le soutiens depuis toujours : il me semble qu’elle est nécessaire. Mais le principe et sa mise en œuvre sont deux choses distinctes. Détruire ou abîmer le patrimoine architectural pour construire une maison de l’histoire européenne me paraît paradoxal et aberrant.
Je suis le ministre président sur la nécessité de cette maison ainsi que sur le choix du quartier, mais pas sur le terrain du non-respect d’un site classé et des qualités architecturales du bâtiment qui s’y trouve.
« Vous précisez que vous allez, par exemple, conserver les châssis en bronze : j’espère bien que l’on ne va pas tout démolir ! Je ne suis pas contre l’adaptation ou le mariage du moderne et de l’ancien, il y a des villes qui font cela remarquablement, mais je suis, par principe, favorable à la conservation d’un bâti de cette qualité. Le bâtiment n’est pas classé, c’est le site qui l’est, mais sa qualité architecturale est indéniable. Si nous voulons mettre en application une politique de préservation d’une qualité architecturale, certaines situations sont inacceptables.
J’ai l’impression qu’il y a, d’un côté, le discours, votre discours sur la protection du patrimoine que je soutiens pleinement et, de l’autre, en pratique, l’effacement progressif des principes. C’est vrai, nous nous trouvons dans le cadre d’un concours, mais ce n’est pas la panacée. Ce n’est pas parce que la proposition résulte d’un concours qu’elle peut ne pas préserver les qualités patrimoniales du bâti initial.
Je pense que ce compromis que vous acceptez et assumez est une erreur. Ne laissons pas l’aspect pragmatique grignoter toujours davantage nos principes et notre politique de préservation patrimoniale. Le parc est classé, c’est donc l’ensemble du site qui est touché par cette décision. »