On vit une époque formidable!

Voici le texte de mon interpellation en commission du 21 septembre et de ma réplique à Mme Brigitte Grouwels, ministre du gouvernement de la Région de Bruxelles- Capitale, chargée des Travaux publics et des Transports, et à M. Emir Kir, secrétaire d’État de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé de l’Urbanisme et de la Propreté publique, concernant « le projet de réaménagement de l’avenue du Port ».
La parole est à Mme Teitelbaum.
– Cela fait plusieurs années que je vous interpelle régulièrement à propos du réaménagement du quartier du Canal, et en particulier de l’avenue du Port. Et vous ne serez pas surprise que je revienne sur ce dossier après ses derniers rebondissements.
L’avenue du Port est une grande voie pavée et arborée qui longe le site de Tour et Taxis. Il s’agit d’un axe structurant qui borde le canal, rythmé par plus de 300 platanes centenaires. Cet axe, qui constitue un témoin privilégié du passé industriel de notre pays et de notre capitale, joue encore de nos jours un rôle dans le développement économique de notre Région.
Le projet régional que votre prédécesseur, M. le ministre Smet, et ensuite vous, Mme la ministre, avez porté, consiste en un réaménagement profond de cette artère, avec une série d’interventions et de travaux lourds et coûteux.
Ces dernières semaines, alors que les travaux de réaménagement devaient débuter en principe fin août, la mobilisation contre ce projet s’est encore amplifiée. Plus de 8.500 personnes ont ainsi signé la pétition contre le réaménagement de cette artère.
S’il nous paraît évident que des travaux sont indispensables à cet endroit, il y a lieu d’avoir une réflexion sur la nature et le développement de l’aménagement concerné. C’est ce que le groupe MR n’a cessé de répéter depuis des années.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui émettent des réserves sur ce réaménagement et qui en dénoncent publiquement les excès. Certains, dont le groupe avait défendu ici votre position, se sont précipités devant les caméras lors d’une manifestation à la fin du mois d’août et ont été fort ennuyés par la réaction du gouvernement qui n’a pas agi de la manière attendue. Les dénonciations de ces excès sont malheureusement restées lettre morte.
Des usagers aux riverains, en passant par des paysagistes tels que Michel Desvigne ou encore des associations environnementales et de défense du patrimoine, toutes et tous, y compris au sein de votre majorité, vous demandent en chœur de revoir votre copie.
Nous ne reviendrons pas en détail sur toutes les faiblesses du projet qui ont déjà largement été évoquées au cours des multiples débats en cette enceinte ou publiquement ces derniers temps : la nature des travaux motivés à l’époque par l’implantation du Brussels International Logistic Center (BILC), depuis abandonnée ; le coût du chantier de plus de 12 millions d’euros, à l’heure où les finances publiques bruxelloises sont dans le rouge ; les atteintes au patrimoine industriel de Bruxelles ou encore l’absence de caractère écologique et durable d’un projet qui prévoit l’abattement de plus de 300 arbres centenaires et le remplacement de pavés par une mer de béton de 80 cm d’épaisseur. La liste peut encore s’allonger ! Les arguments en défaveur du projet tel qu’il a été conçu ne manquent pas !
Même au sein du gouvernement, l’enthousiasme semblait avoir perdu du terrain puisqu’après avoir défendu le projet à vos côtés pendant de nombreuses années, vos collègues semblaient moins enclins à le faire ces dernières semaines. Le doute semblait même s’être installé dans la majorité où certains ont multiplié les déclarations négatives à l’encontre du projet actuel.
Je laisserai le secrétaire d’État expliquer sa position, comme il l’a fait à la télévision juste avant la manifestation.
Avant que le gouvernement ne décide à la fin du mois d’août de se saisir du dossier, laissant entrevoir une éventuelle révision ou modification de celui-ci, les travaux ont été reportés de quelques semaines.
Au final, après un report de la décision de quelques jours et une nouvelle séance du gouvernement bruxellois, il semblerait que le dossier initial sera maintenu tel quel et que le gouvernement, incluant toutes les formations politiques de la majorité Olivier, a donné son aval à la réalisation des travaux.
Cependant, certains membres de cette majorité continuent à se répandre en déclarations publiques et à défendre leur opposition au sein des instances idoines, à savoir le gouvernement.
J’en veux pour preuve les déclarations de M. De Lille, secrétaire d’État, qui déclare dans La Dernière Heure de ce week-end être favorable à de petits travaux sans permis pour améliorer la situation des piétons et des cyclistes; ou encore celles du ministre Vanraes qui craint déjà une mort silencieuse du dossier. Sans parler de l’interpellation de mes collègues de Groen! ni des deux interpellations d’Ecolo.
Avec une majorité aussi soudée, il n’y a plus besoin d’opposition…

Le fait que le projet initial soit maintenu alors que les oppositions légitimes en sont à ce stade soulève desquestions.
Pourquoi, malgré les nombreux arguments motivés et pertinents à l’encontre de ce projet, avez-vous décidé, et le gouvernement à votre suite, de maintenir le projet initial? Pourquoi avoir été sourds à la mobilisation des citoyens, des riverains, des usagers, des associations et institutions qui demandent une adaptation du projet de réaménagement ? Quelles ont été vos motivations à persister dans la réalisation de ce projet ? Quels ont été les arguments déterminants pour poursuivre dans cette voie dont manifestement personne ne veut ?
Par ailleurs, il semblerait qu’une analyse du dossier ait été réalisée et présentée au gouvernement. Pouvez-vous nous le confirmer et nous éclairer sur son contenu ?
Ainsi, avez-vous fait procéder à une étude pour évaluer l’importance des travaux, les implications et les conséquences qu’ils engendreront, notamment en termes de mobilité et de résistance des infrastructures urbaines ? Avez-vous établi un bilan carbone de cette opération et l’avez-vous comparé à l’alternative qui consiste à réparer les pavés au lieu de les remplacer par du béton ? Dans l’affirmative, nous souhaiterions disposer des résultats. Pourriez- vous nous les communiquer ?
Ensuite, puisqu’il apparaît que de tels travaux nécessitent un financement considérable de plus de douze millions d’euros, et que l’état des finances de notre Région est connu de tous, pourriez-vous nous confirmer le budget prévisionnel des travaux dont vous disposez ? Est-il réaliste et réalisable, surtout en cette période difficile, et paraît-il opportun et compatible avec les ressources limitées dont dispose actuellement la Région ?
Un comparatif avec le coût du réaménagement des lieux en restaurant le revêtement pavé a-t-il été envisagé ? Dans l’affirmative, pourriez-vous nous en donner le résultat ?
D’autre part, pourriez-vous nous indiquer la durée estimée du revêtement que vous avez choisi, avant de premières réparations, ainsi que les coûts de gestion et d’entretien d’une telle voirie pour les vingt prochaines années ? En effet, cela fait 40 ans que l’avenue du Port n’a pas été entretenue et que ses pavés sont en mauvais état. Comment comptez- vous y remédier ?
Pourriez-vous ensuite faire la comparaison avec les frais de gestion engagés pour l’entretien de l’avenue lors des vingt dernières années ?
Est-ce vraiment cela votre conception d’une ville durable ?
En outre, étant donné les derniers rebondissements dans ce dossier, notamment la saisine de la justice, avez-vous envisagé l’éventualité que le permis soit dépassé ?
Permettez-moi de ne pas m’étendre sur le « hold-up démocratique » et la question du permis car d’autres membres de mon groupe le feront.
Toutefois, le cas échéant, je voudrais savoir quelles sont les suites que vous envisagez dans ce dossier. Votre collègue, le ministre Vanraes, semble pessimiste en raison du timing particulièrement serré entre la décision attendue et la péremption du permis. Partagez-vous ses inquiétudes, notamment lorsqu’il évoque de lourdes indemnités à verser aux entrepreneurs, avançant un chiffre de l’ordre de 3,5 à 6 millions d’euros ? Confirmez-vous ce chiffre et pouvez-vous nous éclairer davantage à ce sujet ?
Enfin, compte tenu des multiples questions, remarques et critiques fondées et légitimes relayées par un certain nombre d’institutions comme la Commission royale des monuments et sites (CRMS), d’associations comme Inter- Environnement Bruxelles (IEB) ou le Brusselse raad voor leefmilieu (BRAL), de riverains, d’usagers, de politiques communaux ou régionaux, de citoyens, bref des actrices et des acteurs qui font Bruxelles, je vous repose la question ; avez-vous réellement envisagé des alternatives au projet tel qu’il est conçu actuellement ? Si oui, lesquelles ? Et pourquoi ne les avez-vous pas retenues alors que le projet n’est plus adapté à l’ensemble des considérations présentes au moment de sa conception ? Je pense principalement à l’abandon du BILC.
S’il est vrai que l’introduction d’un nouveau permis aurait pu sembler une légère perte de temps vu que l’actuel permis arrivait à expiration en octobre, les moyens financiers en jeu, les multiples conséquences négatives que ce projet engendrera ainsi que la mobilisation citoyenne et institutionnelle quasi unanime contre ce projet auraient nécessité une véritable réflexion et même un réexamen serein et sans tabou de ce dossier associant largement tous les acteurs et parties concernés.
Il semble que cela n’ait pas été votre choix, ni celui du gouvernement. Nous regrettons vivement cette obstination et cet entêtement que l’on peut – j’ose le terme – qualifier d’aveuglement. Votre attitude dans ce projet est un acte de région jacking, un « kidnapping », une véritable agression envers la Région.
Les autres députés sont intervenus, ensuite la Ministre a répondu pendant une heure.
Voici ma réplique

Mme Viviane Teitelbaum.- On vit une époque formidable! Sans doute, il y a une vingtaine d’années, les écologistes se seraient enchaînés aux platanes pour empêcher leur démolition. Aujourd’hui, ils siègent dans un gouvernement où l’on décide d’abattre 300 platanes et d’enlever les pavés qui sont les témoins du développement durable. Il est facile ensuite que quelques députés jouent aux vierges effarouchées ! C’est choquant.
Je ne suis pas d’accord avec votre projet mais j’admets que je n’aimerais pas être à votre place. En effet, votre gouvernement a été sollicité à cinq reprises pour se prononcer sur ce dossier. Il a d’abord notifié le montant du budget, ensuite le projet lui-même. Puis, le 11 septembre 2008, l’ordre signé par le secrétaire Benjamin Cadranel a éte donné par ce gouvernement. Ensuite, il y a eu le cahier des charges puis l’adjudication. À aucun moment, ce projet n’a été arrêté en gouvernement.
En décembre 2010, j’ai déposé un ordre du jour motivé dans ce parlement. Tous ont voté contre. Précédemment, Mme Huytebroeck a accepté ou demandé (je ne me souviens plus) de reporter l’abattage pour protéger les petits oiseaux mais aujourd’hui, on s’offusque ! Je trouve votre capacité à voter pour et contre en même temps tout à fait extraordinaire.
Par ailleurs, quand je prends la parole, je trouverais sympathique que vous m’écoutiez : je n’ai pas dit que le BILC était la raison, mais un des arguments. J’ai relu votre réponse à mon interpellation du 8 décembre 2010, et vous-même le disiez.
Il n’est pas possible de dire que c’est un beau projet quand, outre le fait qu’on décide de remplacer un aménagement durable vieux de 100 ans environ, on le fait en fonction de données purement circonstancielles comme l’aménagement de la circulation, et de souhaits qui évoluent rapidement.
On peut s’interroger sur la pertinence de saucissonner cette avenue qui est un des grands axes structurants, alors que c’est le seul témoin du passé industriel à avoir gardé toutes ses composantes.
Quand vous parlez des arbres, il s’agit d’un alignement monumental de platanes colonnaires de 1927 qui vont être remplacés par des espèces (noisetiers de Byzance, frênes rouges d’Amérique, érables) d’une taille d’environ 10 m. Il ne fait aucun doute que le changement d’échelle de cette avenue va générer un effet ridicule et déplorable, mais va aussi hypothéquer le développement de Tour et Taxis.
Quand Paris et Londres ont de tels quais, ils en font de fantastiques promenades. Pourquoi allons-nous y mettre du béton ? Je ne comprends rien aux arguments que vous avancez.
Je répondrai à présent au secrétaire d’État. L’ordre du gouvernement, daté du 8 septembre, indique : « Le gouvernement de la Région de Bruxelles- Capitale charge le secrétaire d’État à l’urbanisme de délivrer dans les meilleurs délais le permis d’urbanisme pour le réaménagement de l’avenue du Port, comprenant le remplacement des arbres, la récupération des pavés pour les bancs de stationnement, les bernes latérales et le bétonnage de la voirie. La présente décision est de notification immédiate ». C’est signé Benjamin Cadranel, le secrétaire.
Il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond. Ce n’est plus de la concertation. Il s’agit d’un ordre direct du gouvernement.
Madame la Ministre, vous ne pouvez pas vous payer la tête des gens de la sorte et affirmer que cela ne concerne que « quelques riverains ». À l’heure actuelle, la pétition compte déjà 8.700 signatures. Ce n’est pas anodin. Au contraire, de nombreux Bruxellois réagissent franchement à la situation.
Nous en sommes arrivés à un point où il faut réfléchir à de nouvelles alternatives. Hormis cela, il est certain que vous n’êtes pas aidée dans votre majorité.

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