Un gynécologue, un viol, quatre ans de prison ferme et une première judiciaire
Aujourd’hui, toutes les femmes vont aimer l’article 17, alinéa 2, nouveau, du Code judiciaire qui défend l’intérêt collectif *
Pourquoi ?
Parce que pour la première fois la nouvelle loi, qui permet de faire valoir un intérêt collectif, a été appliquée dans le cadre d’un procès pénal ce lundi à Bruxelles.
Quel procès ?
Celui de Tatiana face à son gynécologue, condamné A QUATRE ANS DE PRISON FERME du chef de viol et d’attentat à la pudeur.
L’Observatoire féministe des violences faites aux femmes (OFVFF) s’est constitué partie civile aux côtés de Tatiana et a pour la première fois défendu un intérêt collectif, distinct de l’action strictement personnelle de Tatiana, victime directe, et de l’intérêt général défendu par le ministère public.
En effet, expose Me Dushaj, avocate de l’Observatoire dans ce dossier, « les faits de viol ou d’attentat à la pudeur, qui ont été établis, ont non seulement causé un préjudice personnel à la victime directe du médecin, mais également un préjudice aux droits fondamentaux de toutes les femmes que l’association s’est donnée pour objet social de défendre. En d’autres mots encore, toutes les femmes sont préjudiciées quand un gynécologue commet des faits tels que ceux qui sont reprochés au prévenu ».
Chaque année, trop de violeurs restent impunis.
« Aujourd’hui, à Bruxelles en 2021, la parole de Tatiana, et à travers elle, la parole des femmes, a été entendue. Aujourd’hui, nous avons assisté à une première judiciaire, car il n’y a encore aucune jurisprudence connue fondée sur l’article 17, alinéa 2, nouveau, du Code judiciaire qui défend l’intérêt collectif. Avec cette condamnation à quatre ans de prison ferme, la honte généralement portée par la victime vient frapper le seul coupable» précise Viviane Teitelbaum, présidente de l’OFVFF.
Alors que la Belgique a ratifié la Convention d’Istanbul sur la violence faite aux femmes, on ne peut accepter l’impunité de ces actes. « Le viol est un acte de domination, d’affirmation, de pouvoir et de contrôle. Le responsable, c’est l’agresseur. Si l’agresseur est le médecin, c’est inqualifiable. Dans le cas qui nous occupe, l’inadmissible est aggravé par l’indifférence de l’Ordre des Médecins qui va néanmoins devoir statuer sur une interdiction professionnelle dès réception du jugement »ajoute Viviane Teitelbaum.
Pour rappel, en Belgique neuf victimes sur dix de viols n’osent pas porter plainte ou demander de l’aide, pour différentes raisons : parce que le violeur est un proche, un collègue ou une personne qui a autorité sur elles ; parce que la victime a peur de ne pas être entendue, d’être traitée de menteuse comme dans cette affaire-ci, d’affronter seule la justice, de subir des représailles ou d’être rejetée de son milieu familial ou social; parce que, injustice supplémentaire, c’est sur elle que retombe la honte de l’acte. Pour toutes ces raisons, le jugement de ce lundi fera date.
*La demande de l’OFVFF est fondée sur l’article 3 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, l’article 67 du Code d’instruction criminelle et l’article 17, alinéa 2, du Code judiciaire.
Cette dernière disposition, telle qu’insérée par la loi du 21 décembre 2018, est ainsi libellée :
L’action d’une personne morale, visant à protéger des droits de l’homme ou des libertés fondamentales reconnus dans la Constitution et dans les instruments internationaux qui lient la Belgique, est également recevable aux conditions suivantes :
1° l’objet social de la personne morale est d’une nature particulière, distincte de la poursuite de l’intérêt général ;
2° la personne morale poursuit cet objet social de manière durable et effective ;
3° la personne morale agit en justice dans le cadre de cet objet social, en vue d’assurer la défense d’un intérêt en rapport avec cet objet ;
4° seul un intérêt collectif est poursuivi par la personne morale à travers son action.
Les travaux préparatoires de cette loi prévoient explicitement l’exercice de l’action collective par la constitution de partie civile :
Le ministre précise que la modification à l’examen vise à octroyer un droit d’action collectif à des personnes morales dans des matières liées aux droits de l’homme ou aux libertés fondamentales tels qu’ils sont reconnus par la Constitution et dans les conventions internationales. L’article 17 du Code judiciaire a une portée générale qui couvre les procédures tant civiles que pénales. Doc. parl., Ch., sess. 2018-2019, Rapport, DOC