Mon interpellation sur le suivi donné aux actes antisémites en région bruxelloise
Mon interpellation à M. Charles Picqué, ministre – président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé des Pouvoirs locaux, de l’Aménagement du Territoire, des Monuments et Sites, de la Propreté publique et de la Coopération au Développement, concernant « le suivi de la résolution relative à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » en commission des Finances du Parlement bruxellois, le jeudi 23 juin 2011
Le 20 mai 2005, le parlement régional bruxellois adoptait une résolution relative à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie à propos de laquelle j’ai déjà eu l’occasion de vous interpeller.
Le parlement enjoignait les différents gouvernements fédéral, régionaux et communautaires, ainsi que les communes, à prendre des mesures et à développer une série d’initiatives visant à rencontrer cet objectif.
Notre parlement leur demandait notamment de se porter garant de la dignité, de la liberté individuelle et des droits égaux pour tous, de combattre toute forme de discrimination et de poursuivre toutes formes de violences physiques ou verbales basées sur des critères de fortune, de naissance, de couleur, de prétendue race, de sexe, d’orientation sexuelle, de langue, de convictions
idéologiques, etc. Celui-ci recommandait aux différentes entités de poursuivre de façon systématique les auteurs
d’actes racistes, antisémites et xénophobes et d’optimaliser la coopération judiciaire en vue de lutter plus efficacement contre leur diffusion sur internet.
L’assemblée régionale prescrivait la condamnation et la poursuite de toute expression de révisionnisme ou de négationnisme.
Un volet préventif était également développé avec, entres autres, la demande de promotion d’une politique d’égalité des chances en matières d’emploi et de logement et l’organisation de formations à destination du personnel engagé dans le cadre des Contrats de sécurité et de prévention.
Ce volet prévoyait également de mettre sur pied des formations spécifiques à destination des instituteurs et des professeurs afin qu’ils disposent, d’une part, d’une base solide lorsqu’ils se penchent sur l’histoire du génocide du peuple juif et des autres génocides et, d’autre part, d’arguments forts lorsqu’ils sont confrontés à des réflexions racistes concernant l’histoire de l’immigration dans notre pays.
Un autre aspect particulièrement important de la prévention est la sensibilisation des jeunes aux phénomènes du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie au travers de projets et d’activités ludiques dans les écoles, les associations, les centres sportifs et les autres lieux d’échanges.
La proposition demande également de poursuivre toutes formes de violence physique ou verbale basées sur les critères précités, et donc de sanctionner de façon systématique les auteurs d’actes racistes, antisémites et xénophobes et de condamner toute tentative de récupération visant à l’incitation à la haine des événements géopolitiques au Moyen-Orient en mots ou en actes contre les musulmans ou les juifs à Bruxelles.
La proposition inclut aussi de mettre en oeuvre, dans le cadre de la politique de cohésion sociale, tous les moyens nécessaires aux dialogues intercommunautaire et interculturel, ainsi qu’à l’information des citoyens quant à l’évolution, aux dangers et aux conséquences de la recrudescence du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie.
Enfin, il est indispensable d’appuyer les projets dont l’objectif est de déconstruire les préjugés racistes, antisémites et xénophobes au sein des écoles, des associations, des centres sportifs et de tout autre lieu d’échange.
Ceci prend évidemment tout son sens quand une étude intitulée « Jong in Brussel » de la plate-forme Onderzoek Jeugd, publiée dans le quotidien flamand De Morgen, affirme que la moitié des élèves bruxellois de confession musulmane seraient antisémites.
« Il s’agit d’un chiffre très élevé et inquiétant », selon le sociologue Mark Elchardus de la Vrije Universiteit Brussel (VUB). « Ce qui est grave, c’est que ces sentiments antijuifs n’ont rien avoir avec un niveau social ou culturel peu élevé, ce qui est le cas parmi les autochtones racistes…
L’antisémitisme chez les élèves musulmans aurait une inspiration théologique, et il y a un lien direct entre le fait d’être musulman et celui d’éprouver des sentiments antisémites », commente encore le scientifique.
Au-delà des chiffres et de l’étude elle-même, qui pourrait certainement être améliorée ou complétée, il y a le rejet d’un pluralisme qui est la base et le baromètre de la santé de notre système démocratique. Même s’il faut éviter les généralisations, ce rapport ne doit pas être banalisé.
Il y a deux ans, vous m’aviez répondu : « Des invectives racistes prônant notamment la « mort aux juifs » sont inacceptables. Il existe pour moi une ligne rouge, dont le passage ne doit jamais être accepté ou banalisé. Cette ligne est celle marquée par le racisme et l’antisémitisme, et bien entendu, par l’appel à la haine et à la violence. Je pense pouvoir vous dire, au nom de tout le gouvernement bruxellois, que le principe à l’égard de tels comportements est et restera celui de la tolérance zéro.
Lorsque de tels faits sont constatés, il appartient au pouvoir fédéral, et en particulier à la justice, de poursuivre et de sanctionner les auteurs. » Tout ceci nous rassure, évidemment.
Vous aviez cité une série d’outils relatifs à l’École régionale d’administration publique (ERAP) ou au Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI), qui sont des partenaires de la Région en ce qui concerne les programmes de cohésion.
En dehors du volet de la formation, vous aviez aussi évoqué des dispositifs de prévention financés par la Région bruxelloise, qui se révèlent plus ou moins efficaces pour la gestion de crises.
« Hormis ces dispositifs liés aux Contrats de sécurité et de prévention, le gouvernement bruxellois a témoigné sa ferme volonté de faire cohabiter harmonieusement les différentes communautés présentes sur le territoire régional, par son soutien aux différents programmes d’intégration et de cohabitation et aux contrats de quartier », aviez-vous encore ajouté.
Je vous avais demandé si, en tant qu’autorité de tutelle sur les communes, vous ne pouviez pas mettre en place des synergies au niveau des écoles, afin de retrouver une certaine sérénité dans les cours de récréation. Les enfants juifs sont confrontés à toute une série de problèmes.
Certains s’entendent conseiller de prendre le métro deux stations au-delà de celle de leur école pour ne pas se faire agresser, tandis que d’autres sont harcelés dans les cours de récréation. Comptez-vous initier une action spécifique au niveau des jeunes ?
Il y a deux ans, vous m’aviez répondu : « Le Centre pour l’égalité des chances est notre partenaire pour l’observation des faits que nous avons évoqués aujourd’hui. Nous devons pouvoir travailler avec un organe national, qui est lui-même en contact avec des organes semblables dans d’autres pays. »
Sur la base de l’étude de la VUB, estimez-vous que les mesures prises au niveau de la Région sont suffisantes ?
Quelle est votre analyse de la situation et de l’évolution du problème de l’antisémitisme en Région bruxelloise ? Quels outils comptez-vous développer pour améliorer cette situation ?
Quels sont les échos des agents de prévention et des fonctionnaires communaux par rapport aux réunions que vous avez eues sur ce sujet en termes de cohésion sociale dans les quartiers ?
Le Centre pour l’égalité des chances est-il un partenaire efficace dans ce cadre au niveau des communes, du CBAI et de la Région ?
Mme Nadia El Yousfi a pris la parole pour le groupe PS. Tout en disant qu’elle appuie ma démarche d’interpeller dans ce sens, elle manifeste son désaccord avec la direction que prend systématiquement ce débat, à savoir selon elle le traitement d’une seule forme de racisme : l’antisémitisme.
M. Charles Picqué, ministre-président, m’ a répondu : Je peux au moins constater que la xénophobie peut frapper tout le monde. Elle concerne de plus en plus de populations et de pays : il suffit pour cela de voir certains résultats électoraux en Europe. Les nouvelles ne sont pas bonnes sur ce front-là. Mais pour ne pas tomber dans ce débat très large – que nous avons déjà eu -, nous devons nous poser la question de nos possibilités d’action : la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie doit être menée à tous les niveaux de pouvoir.
Les communes peuvent déployer certains efforts en ce sens. Je pense aux services de police et aux agents de prévention, ou à la formation assurée par l’École régionale et intercommunale de police (ERIP) qui, dans le cadre du cours de déontologie notamment, forme les agents à la problématique de la diversité. Des opérateurs comme le CBAI en sont d’ailleurs partenaires, tout comme de l’ERAP.
Le même CBAI organise aussi des formations à l’intention des personnes souhaitant exercer un « métier de la ville », c’est-à-dire en contact avec cette diversité. Au-delà des policiers, on y retrouve les éducateurs, les agents de prévention, les animateurs socio-sportifs… Un module de communication interculturelle, notamment basé sur le démontage des préjugés et des stéréotypes courant sur le dos de certaines communautés ou groupes, est proposé par le CBAI.
À titre d’exemple, le CBAI vient de superviser des formations données (via un organisme d’insertion socioprofessionnelle) à de futurs agents de prévention de la commune de Saint-Josse-ten-Noode.
Il y a donc des partenaires qui peuvent mener des actions de sensibilisation et de formation. L’ERAP, de son côté, clôture en ce moment une formation de base délivrant l’attestation de « gardiens de la paix » à 120 personnes. Cette formation porte notamment sur l’interculturalité et l’apprentissage du contact de la diversité. Cette formation est financée par la Région à 75% et a été mise sur pied en vue d’améliorer la professionnalisation et l’approche interculturelle, indispensable dans une ville comme Bruxelles.
Ce renforcement de la formation des gardiens de la paix répond concrètement à des constats opérés sur le terrain, relatifs entre autres à des manques quant à « l’approche interculturelle ».
Il est certain qu’il faut toujours améliorer la connaissance et l’analyse des problèmes rencontrés.
C’est pourquoi, nous finançons, depuis 2009, un coordinateur attaché au réseau bruxellois des fonctionnaires de prévention au sein du Forum belge pour la prévention et la sécurité urbaine.
Il a récemment été décidé que le coordinateur disposerait d’un bureau au sein de l’Observatoire pour la prévention et la sécurité, ce qui, in fine, devrait concourir à améliorer le retour que nous recevons des acteurs de terrain.
À la COCOF, le dispositif de cohésion sociale, par un maillage serré d’associations disséminées dans plusieurs communes bruxelloises, vise, je cite l’article 3 du décret, « des processus de lutte contre toute forme de discrimination et d’exclusion sociale par le développement de politiques
d’intégration sociale, d’interculturalité, de diversité socioculturelle et de cohabitation des différentes communautés locales». Concrètement, plus de 300 associations mettent en oeuvre ces principes par le développement, en réseau, d’actions communautaires de quartier.
Toujours au niveau de la COCOF, la charte « Carton rouge au racisme et aux discriminations » créée par Emir Kir est toujours d’actualité. Ce projet vise à sensibiliser et à éduquer les sportifs aux actes de citoyenneté et au respect de la différence dans le milieu du sport.
Je terminerai en évoquant le projet de protocole de collaboration entre le Centre pour l’égalité des chances et la Région Bruxelles-Capitale (la COCOF et la COCOM). Celui-ci est en cours de négociation. Une fois adopté, ce protocole apportera assistance dans la reconnaissance des droits des victimes de discrimination et de délit de haine par le biais d’actions en justice ou en conciliation.
Voilà une liste non exhaustive des actions et des initiatives que nous menons. Je me limite à celles- ci, sans quoi nous tomberions dans un débat très large sur l’évolution sociétale et le risque de montée du racisme et de la xénophobie. Nous aurons d’autres occasions d’en débattre plus généralement.
Ma réplique : La question que je pose aujourd’hui est légitime, et ma préoccupation l’est tout autant. Vous me répondez de manière globale. Il me paraissait toutefois important de mettre en exergue le cas de ces personnes qui constituent une cible particulière.
M. Charles Picqué, ministre-président.- Si vous voulez savoir si je suis inquiet de la montée de l’antisémitisme, la réponse est oui. Ce n’est pas un sujet de plaisanterie ainsi que je vous l’ai déjà dit. Je n’ai pas sous-estimé ce phénomène, pour l’instant.