Bloc-notes

Mon intervention sur l’amnistie en séance plénière

Voici le texte de mon intervention sur la proposition de résolution » visant à rappeler son soutien au nécessaire devoir de mémoire et son opposition à toute loi générale d’amnistie ». La résolution a été adoptée par 79 voix pour et 4 voix contre ( Vlaams Belang et NVA!). Fouad Ahidar, député SPa a fait une intervention que j’ai trouvée remarquable, expliquant qu’il a été à Auschwitz et que suite à cela il estimait qu’on ne pouvait pas comparer ou amalgamer la situation du Moyen-Orient avec la Shoah.
Nous étions souvent en désaccord sur la situation à Gaza, mais une telle intervention est à souligner!

Parlement bruxellois, 1er juillet 2011

Madame la Présidente,
Chers collègues,

Je suis vraiment confortée par le fait que tous les groupes de la majorité aient co-signé ce texte. C’est important.
Si je milite pour la Mémoire et le travail de Mémoire, depuis tant d’années, c’est parce que cela participe d’un travail pour la Démocratie certes, mais aussi sans doute parce que je suis ce qu’on appelle la « 2ème génération », comme tous les Juifs qui ont mon âge. Toutes les victimes n’étaient pas juives mais tous les Juifs étaient victimes. Si nous sommes nés c’est parce que nos parents ont survécu: survivants de la déportation, des camps de la mort ou enfants cachés ou encore ayant pu s’enfuir des griffes nazies. Si nous sommes là c’est parce que l’histoire des survivants est celle d’un miracle. Chaque enfant, chaque famille – en tout ou en partie res¬capée — a rencontré plusieurs fois la chance sur sa route. La chance d’avoir échappé à une rafle, à une dénonciation, à une bombe. La chance d’avoir trouvé un refuge, d’avoir rencontré un résistant, un passeur honnête, un voisin qui était un homme conscient, une voisine qui a eu pitié.
Ces résistants, ces Justes parmi les Nations ont eu un courage exemplaire au péril de leur vie.
Et je pense donc que pour eux, pour saluer leur courage inouï, ou pour rappeler les déportés Juifs ( 25.000 de Malines et 5.000 de Drancy), les Tsiganes, les homosexuels, les communistes, mais aussi pour les générations à venir c’est important de se souvenir… tout simplement.
Il y a 66 ans la tragédie de la Deuxième Guerre mondiale s’achevait et avec elle prenait fin l’extermination des Juifs, l’exécution et la déportation des résistants au régime nazi.
Il y a donc un peu plus d’un demi siècle ou il y a seulement un peu plus d’un demi siècle devrais je dire que des hommes, des femmes et des enfants ont enfin vu se lever le jour de la liberté retrouvée. Nombreux d’entre eux n’avaient ni force ni goût pour fêter la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie, nombreux d’entre eux, affaiblis par les années de camps, frôlant la mort au quotidien, ne pouvaient même pas compter les survivants.

A plusieurs reprises, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des tentatives de réhabilitation de ceux qui furent traîtres à leur patrie ont été faites. En 1998, le « décret Suykerbuyk » qui plaçait des inciviques sur le même pied que les victimes de guerre et qui visait à accorder une aide complémentaire à des personnes vivant dans une situation de précarité par suite de circonstances dues à la guerre, à la répression et à l’épuration a été votée. Des recours ont été déposé car déjà nous ne pouvions accepter que des inciviques soient placés sur le même pied que les victimes de guerre, dont nous démocrates restons les représentants, les héritiers physiques, les légataires spirituels. Car déjà nous ne pouvions imaginer que des fonds publics servent à récompenser des personnes qui ont été condamnées pour leur collaboration avec le régime nazi. Heureusement la Cour d’arbitrage a annulé le décret Suykerbuyk, qui ne sera jamais appliqué.

Je l’ai dit en commission mais cela me frappe. Les enfants qui ont 18 ans aujourd’hui ne conserveront de l’histoire que les notions qui leur auront été transmises par ceux qui l’ont vécue et qui ont réussi à survivre, et par ceux qui la leur enseignent aujourd’hui.

Ces enfants qui ont 18 ans en l’an 2011 ont toujours connu le SIDA, n’étaient pas nés lors de la chute du Mur de Berlin ou lorsque l’URSS s’est décomposée. Pour eux la guerre du Vietnam est de l’histoire ancienne. Ils craignent peut-être une guerre nucléaire, mais Tienanmen ne représente sans doute rien à leurs yeux… De manière plus anecdotique, ils ont été accueillis dans les foyers bien après les premiers ordinateurs portables, n’ont pas connu la télévision en noir en blanc et sont nés dix ans après le baladeur, qui n’existe plus.

Alors enseignons leur l’histoire correctement c’est là notre responsabilité et inculquons leurs les valeurs qui leur permettront de devenir des citoyens et des citoyennes conscients de leurs devoirs au sein d’une démocratie qu’ils auront à cœur de défendre, dans laquelle ils auront le bonheur et la fierté de vivre.

Car l’histoire que nous écrivons, que nous vivons pose tous les jours de nouveaux défis. Quotidiennement, nous sommes confrontés à d’autres difficultés, à de nouvelles interrogations.
Paradoxalement à l’heure où l’Europe se forme, où les citoyens et les jeunes de tous les pays élargissent leurs horizons, une extrême droite active et fascisante réapparaît dans différents pays. Et nous devons nous battre afin que ce troisième millénaire voie les frontières du racisme s’effondrer.
Si nous souhaitons nous retrouver dans une lecture commune des événements de la Shoah et aborder en Belgique, le travail de mémoire sur les responsabilités c’est parce que – comme l’écrivait déjà si bien Roger Lallemand en 1994, dans la préface de mon livre sur les Enfants cachés:
« Sans doute, bien des hommes politiques, bien des per¬sonnes de bonne volonté, par peur ou par souci de bien faire, redoutent la remontée des souvenirs. Ils se font parfois les apologistes de l’oubli. Si l’antique proverbe égyptien dit vrai lorsqu’il affirme que « seuls existent les êtres dont on prononce le nom », la poli¬tique de l’oubli, elle, peut, en certaines circonstances, être jugée comme une négation autodestructrice.
Selon lui l’obscurcissement de l’oubli est ce qui entre¬tient et enlève la raison d’espérer, l’espoir d’une maîtrise lucide de l’avenir. Notre démocratie a pu survivre hier écrivait-il, grâce à ceux qui ont jeté des ponts au moment où chacun les détruisait, qui ont ouvert des portes à l’étranger poursuivi par la mort. Le réflexe sécuritaire qui, hier, nous faisait assumer l’indif¬férence et l’égoi’sme avait comme excuse la peur. Aujourd’hui, il a comme souci le confort matériel ou moral. Ce souci prend parfois des formes subtiles d’un humani¬tarisme que l’ égoisme le plus intelligent peut manipuler avec adresse. »

66 ans après la Libération des camps nazis l’amnistie, l’oubli, résonnent telles les dérives antidémocratiques, nationalistes, révisionnistes, qu’elles contiennent. L’amnistie, ou la réhabilitation des inciviques, est une atteinte aux valeurs démocratiques. Cette pseudo réconciliation constitue en outre une porte ouverte au négationnisme et/ou à l’oubli. L’on ne peut aujourd’hui, alors que le travail entamé sur les responsabilités des autorités belges n’a pas encore abouti, que l’antisémitisme se développe à nouveau et que le nationalisme reprend des forces, accepter que soient disculpés ceux qui ont collaboré avec les nazis.
La loi Vermeylen de 1961 permet une démarche personnelle de pardon. Elle demande à tous ceux qui ont été condamnés à plus de trois ans, c’est-à-dire pour des faits d’une certaine gravité – car tous les autres ont bénéficié d’une amnistie automatique –, elle demande qu’à tout le moins deux démarches soient effectuées : la demande volontaire de bénéficier de la mesure d’amnistie individuelle, la reconnaissance de l’erreur et l’engagement de respecter la Constitution, c’est-à-dire les valeurs fondamentales de notre pays. Laisser entendre qu’il faudrait rouvrir un débat dans nos Assemblées parlementaires sur cette question n’a aucun sens !
La démarche du « pardon » doit rester individuelle, la mémoire doit être collective, partagée. D’où le vote de ce texte ici.
Viviane Teitelbaum

8 commentaires

  • Furcage gilbert

    « Et je pense donc que pour eux, pour saluer leur courage inouï, ou pour rappeler les déportés Juifs ( 25.000 de Malines et 5.000 de Drancy), les Tsiganes, les homosexuels, les communistes, mais aussi pour les générations à venir c’est important de se souvenir… tout simplement.

    Pas 5000 déportes mais 65000 de Drancy,merci pour votre intervention.

  • Viviane Teiltelbaum

    Evidemment qu’il y a eu 65000 déportés de Drancy, je parlais uniquement de la Belgique. Sur une population juive estimée environs à 65.000 personnes : 30.000 Juifs de Belgique ont été déportés. 25.000 l’ont été à partir de Malines et 5.000 à partir de Drancy. Désolée pour le malentendu, merci de m’avoir permis de préciser.

  • Viviane Teiltelbaum

    Pour ceux qui lisent le néerlandais voici un communiqué du Forum der Joodse organisaties ( FJO) et qui me félicite pour mon initiative! Je suis très touchée!

    PERSBERICHT AMNESTIE
    In het Brusselse Parlement werd op vrijdag 1 juli jl gedebatteerd over een voorstel van resolutie waarin volksvertegenwoordiger Viviane Teitelbaum
    (MR) oproept tot het nooit vergeten van de holocaust en tot verzet tegen elke vorm van algemene amnestie.
    Het FORUM der Joodse Organisaties feliciteert Viviane Teitelbaum met dit initiatief en waardeert bijzonder zij die voor dit voorstel van resolutie
    hebben gestemd en betreuren degenen die tegen hebben gestemd.
    Voor info
    Kouky Frohmann, voorzitter
    Diane Keyser, secretaris generaal

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