Les pavés de la mémoire, un témoignage, comme un maillon de transmission …
Voici mon intervention à la ville de Bruxelles, ce lundi 5 mars, lors de la pose des pavés de la Mémoire. Ici rue du Poinçon, en mémoire de la famille déportée de Maurice Pioro. Moment d’émotion partagée.
Monsieur le Bourgmestre, Madame l’Echevine,
Chers membres de la famille Pioro, très cher Maurice, toi qui a été l’une des chevilles ouvrières de la Mémoire en Belgique,
Très chers élèves,
chers amis,
Je voudrais moi aussi aujourd’hui tout d’abord remercier les membres de l’Association pour la Mémoire de la Shoah, et en particulier Eric Picard, pour leur engagement, leur ténacité, leur détermination à poursuivre ce combat utile et encore si nécessaire. Voilà presque 3 ans M. le Bourgmestre, que les poses des pavés de la mémoire sont un moment important et émouvant dans l’histoire de notre Région, et en particulier de certaines communes. Nous avions commencé en mai 2009, aussi ici à la ville de Bruxelles, dans votre commune. Et je suis pour ma part ravie que vous soyez là aujourd’hui avec nous, citoyens bruxellois, qui souhaitons nous retrouver dans une lecture commune des événements de la Deuxième Guerre mondiale. Car le souvenir de la Shoah ne peut devenir l’affaire des seules victimes.
Il y a soixante sept ans, le monde découvrait les charniers, les chambres à gaz, les camps d’extermination et de concentration, les massacres, l’extermination systématique des Juifs, des Tsiganes, des handicapés, des homosexuels par le régime nazi au nom d’une idéologie raciste, xénophobe et fasciste. Mais si le terminus de l’Histoire était, pour beaucoup de déportés de Belgique, situé à Auschwitz, leur périple a commencé ici dans ces rues mêmes, où les nazis – allemands et belges- sont venus les arrêter, les rafler à la vie, à leurs familles. C’est ici qu’on a vu arriver les camions, entendu le bruit des bottes, les coups frappés aux portes arrachant hommes, femmes et enfants au sommeil d’abord, à la vie ensuite. Car les rafles sont organisées dans l’obscurité de la nuit. Réveil brutal, panique, terreur, affolement. Les pas rapides et secs des bottes SS dans l’escalier, hurlements, coups. Derrière la porte, les coeurs s’arrêtent de battre, la respiration est coupée. Une main est posée sur la bouche de l’enfant. Peut-être, oublieront-ils d’entrer… Quelques minutes plus tard : « Ouvrez, sales Juifs ! » Tout le monde est embarqué. C’est bien ici que tout a commencé.
Toutes les victimes n’étaient pas juives, mais tous les Juifs étaient victimes. Tout ce qui était l’Autre, différent, était persécuté voire assassiné.
C’est ici que nous nous retrouvons aujourd’hui pour penser ensemble à la vie de ceux que l’histoire a abandonnée lâchement, tristement, brutalement.
Pour transmettre ce qui s’est passé ici dans cette rue, devant cette porte, pour lutter contre l’oubli, contre les négationnismes ( de tous les génocides et je veux le dire avec force à mes amis arméniens et tutsis aussi) , ces pavés font œuvre de « passeur de mémoire ».
Car ces pavés de la mémoire sont une manière de trouver le courage, une approche originale pour un dialogue audacieux dans des quartiers où les immigrés d’hier rencontrent ceux d’aujourd’hui. Et où le racisme et l’antisémitisme sont malheureusement trop souvent présents. Les raisons invoquées sont nombreuses, elles n’en sont pas moins inacceptables et nous ne pouvons les accepter.
Les pavés d’hier étaient les témoins de ceux qui trébuchaient sur leur destin. Ils doivent devenir aujourd’hui un message d’espoir, un maillon d’une chaîne de transmission, de l’histoire, mais aussi des valeurs démocratiques. Nous n’avons pas le choix, ils doivent contribuer à une meilleure écoute.
Je suis rentrée il y a quelques heures d’une réunion à l’ONU, et je peux vous dire l’importance d’un dialogue comme celui – ci : entre immigrés d’hier et d’aujourd’hui, dans ce monde où à l’échelle planétaire on peut s’adresser les uns aux autres sans jamais se parler. Se parler sans jamais s’écouter. S’écouter sans jamais s’entendre. Ca fait froid dans le dos et c’est très décourageant !
Ces pierres qui nous entourent sont les témoins d’un passé qui a connu des heures sombres, ces petits pavés de mémoire, ces petits cubes de laitons que nous plaçons aujourd’hui, sont aussi le produit d’une réflexion qui nous entraine dans une belle aventure. Moi, enfant d’enfant caché, aujourd’hui députée, je m’adresse aujourd’hui à tous les politiques, à tous les survivants mais aussi aux riverains et habitants de ce quartier. Je sollicite votre imagination, votre énergie qui vous permettra peut-être de reconnaître d’autres Autres, et aux Autres d’hier de reconnaître ceux d’aujourd’hui dans le respect de chacun, et de son identité. Car c’est une manière aussi de combattre de l’extrémisme, le fascisme, le sexisme, l’homophobie, toutes les discriminations et je le souligne particulièrement aujourd’hui : l’antisémitisme.
Monsieur le Bourgmestre, chers élèves, chers amis, c’est ensemble que nous devons nous engager pour poursuivre ce travail de mémoire, c’est notre responsabilité.
Merci